Les sources

À peu près tout a été dit sur les sources et l’inspiration de George Lucas : Flash Gordon, les Space Operas, Casablanca…D’un point de vue narratif, nous considérons qu’il existe trois sources essentielles (dont une, « The hidden fortress », que Lucas a déjà citée comme l’une de ses inspirations).

La première source constitue la source historique, la deuxième la source narrative, et la troisième la source épique.

« Histoire du déclin et de la chute de l’Empire Romain », Edward Gibbon

Edward Gibbon (1723-1792) était un historien britannique, célèbre pour son œuvre « The history of the Decline and Fall of the Roman Empire », publiée en six volumes entre 1776 et 1788. Cet ouvrage a exercé une influence exceptionnelle sur la philosophie de l’histoire. Il explique que les plus belles civilisations meurent, et que lorsqu’elles meurent, c’est souvent de leur propre fait.

La thèse principale de Gibbon est simple : l’Empire Romain s’écroule face aux barbares parce qu’il est déjà mort. Il est déjà mort, c'est-à-dire décadent, corrompu, injuste, fragile, pourri jusqu’à la moelle, car les citoyens romains ont perdu leurs vertus et leur sens civique. Le premier (avec Montesquieu à la même époque), Gibbon s’intéresse au déclin des civilisations : elles semblent mourir de causes extérieures.

Mais la cause réelle de leur chute, c’est qu’elles perdent la foi en leur destin. En réalité, elles ne meurent pas, elles se résignent.

Dès le début du quatrième épisode, Lucas adopte un point de vue livresque, épique et historique. Avec ce déroulé en à-plat célébrissime, il signale tout de suite que son point de vue est historique. Il ne raconte pas une histoire, il raconte l’Histoire.

À titre d’exemple, voici les premières lignes du livre de Gibbon :

“In the second century of the Christian era, the Empire of Rome comprehended the fairest part of the earth, and the most civilised portion of mankind. The frontiers of that extensive monarchy were guarded by ancient renown and discipline valour. The gentle, but powerful influence of laws and manners had gradually cemented the union of the provinces.”  (“Au second siècle de l’ère chrétienne, l’empire romain comprenait les plus belles contrées de la terre et la portion la plus civilisée du genre humain. Une valeur disciplinée, une renommée antique, assuraient les frontières de cette immense monarchie. L’influence douce, mais puissante des lois et des mœurs avait insensiblement cimenté l’union de toutes les provinces.”)

On croirait le début d’un Péplum des années cinquante, et c’est normal, puisque les péplums romains s’inspirèrent indirectement de Gibbon.

Maintenant, les premières lignes de « Star Wars : a new hope » :

“It is a period of civil war. Rebel spaceships, striking from a hidden base, have won their first victory against the evil Galactic Empire. During the battle rebel spies managed to steel secret plans to the Empire’s ultimate weapon, the DEATH STAR, an armoured space station with enough power to destroy an entire planet. Pursued by the Empire’s sinister agents, Princess Leia races home aboard her starship, custodian of the stolen plans that can save her people and restore freedom to the galaxy…” (“ C’est une époque de guerre civile. À bord de vaisseaux spatiaux opérant à partir d’une base inconnue, les Rebelles ont remporté leur première victoire sur l’abominable Empire Galactique. Au cours de la bataille, les Rebelles ont réussi à dérober les plans secrets de l’arme absolue de l’Empire : l’ÉTOILE NOIRE, une station spatiale dotée d’un armement assez puissant pour annihiler une planète toute entière. Poursuivie par les sbires sinistres de l’Empire, la Princesse Leia regagne sa base dans son vaisseau cosmique, porteuse des plans volés à l’ennemi qui peuvent sauver son peuple et restaurer la paix dans la galaxie…”)

Seul l’ouvrage de Gibbon est comparable dans son ambition historique au colossal projet narratif de George Lucas.

« La forteresse cachée », Akira Kurosawa

« La forteresse cachée » est un film d’Akira Kurosawa sorti en 1958, avec Toshiro Mifune et Misa Uehara. C’est l’une des rares influences dont George Lucas ne se soit jamais caché. Le scénario de l’épisode quatre peut être considéré comme un remake du film japonais.

Comme la période de l’Empire Romain, le Japon féodal du Seizième siècle est une époque de crimes, de guerres, de victoires et de déclin. Vaincu par le clan Yamana, le général Rokurota Makabe escorte la Princesse Yuki et son or, afin de faire renaître le clan Akizuki de ses cendres. Pour aboutir à leurs fins, ils vont s’appuyer sur deux paysans pauvres, Tahei et Matashichi. Ces derniers aimeraient bien récupérer l’or caché des Akizuki, et se heurtent à chaque fois au général Makabe. Mais en dépit de leur morale douteuse, ce sont de bons bougres, aux personnalités comiques. Ils influenceront les caractères des robots R2-D2 et C-3PO.

Une des nombreuses idées que Lucas emprunte à Kurosawa, c’est de démarrer l’histoire du point de vue tragi-comique des deux robots, comme Kurosawa la débute avec les deux paysans, le petit, plus décidé, et le plus grand, plus stupide.

Tout est contre eux. Et pourtant la princesse Yuki et le général Makabe réussiront.

Après le constat de l’inévitabilité du temps cyclique (Gibbon), vient le deuxième élément, l’espoir. Dans l’histoire de Kurosawa, même quand tout est perdu, subsiste toujours un espoir. Un espoir offert au valeureux de s’en sortir et de tout recommencer.

« Fondation » (le cycle de), Isaac Asimov

De par son ambition, raconter l’histoire de l’humanité et de l’espace, « Fondation » est l’équivalent littéraire de Star Wars. Isaac Azimov (1920-1992) a lu Gibbon et son ouvrage l’a sans nul doute influencé.

L’Empire va vers sa fin. Cette fin mettra des siècles à se réaliser, mais elle est prévisible pour le psycho-historien Hari Seldon. Son lent déclin signifie des siècles de malheur pour les galaxies. Rien ne peut être fait pour empêcher l’Empire d’aller vers sa propre destruction. En revanche, s’il était possible de protéger la connaissance humaine en constituant une petite colonie suffisamment éloignée des soubresauts de l’Empire, on donnerait ainsi une chance à l’univers de sortir du chaos et du malheur en accélérant la reconstruction une fois qu’un nouveau cycle aura été engagé. C’est ce qu’envisage Hari Seldon.

Il constituera une Fondation, et grâce à la psycho-histoire, une science qui emploie les mathématiques et la statistique afin de prévoir les évolutions probables de l’histoire à l’échelle des sociétés, il prédira assez précisément les revers de fortune et les malheurs auxquels sera confrontée la Fondation dans les siècles à venir. Une fois mort, Hari Seldon réapparaît de façon holographique afin de conseiller les Fondateurs, répondre à leurs interrogations (sans qu’il puisse toutefois communiquer avec eux), et surtout leur redonner l’espoir que, du fond des siècles, celui qui fut l’inspiration de leur projet, veille encore sur eux.

Dans le monde de « Fondation », l’espoir se nourrit à la source. En cela, le temps cyclique de « Fondation », ou celui de l’histoire romaine, est un temps radicalement opposé au temps linéaire soviétique, à celui de la gauche française ou au temps messianique américain (marqués par une foi indéfectible dans un futur meilleur où l’homme peut influencer son destin en regardant toujours vers l’avant). C’est aussi un temps où le futur ne peut se comprendre que par le passé, où le passé tient les clés de tout bonheur futur.

En conclusion…

Si l’on regroupe ces trois sources en éléments constitutifs d’une mythologie, on obtient la séquence historique République-Empire (Gibbon, l’Empire Romain), l’élément narratif (Kurosawa, Akizuki) et l’élément épique Rébellion-Fondation (Azimov).

Lucas a choisi de commencer par l’épisode quatre, celui de la plus forte rupture narrative dans la mythologie. Tout au cours des épisodes quatre, cinq, six, il existe une nostalgie des origines, celle d’un monde idéal, aux institutions stables, un monde de paix et d’harmonie, qui est aujourd’hui disparu. Ces origines, il les révélera dans les épisodes un, deux ou trois, qu’il réalisera vingt ans plus tard.